Si Bolloré était président d’un club de foot, les fans auraient arrêté d’aller au stade depuis longtemps »
Beaucoup de Français l’ont découvert suite à son arrivée au Quotidien de Yann Barthès mais Thomas Wiesel est loin d’être un nouveau venu. Parti de rien et sans grand repère dans le métier en 2012, l’humoriste suisse a gravi les échelons grâce à une belle plume acérée et à son humour noir. Il suffit d’écouter ses chroniques pour se convaincre que le monsieur a des choses à dire et cela tombe bien car nous avions des questions à lui poser.
Question : On sent que tes chroniques sont engagées et qu’au delà des blagues tu creuses pas mal le sujet traité. Ça me semble assez atypique car en France les comiques parlent peu d’actualité et ceux qui en parlent visent souvent plus la blague ou le jeu de mots que le fond. Pour ce faire, tu t’inspires de quelqu’un en particulier ou c’est plus venu au fil du temps ?
Je ne suis pas d’accord. Il y a des familles, des écoles, mais il y a une grande tradition d’humour d’actualité en France. Les humoristes sont présents sur toutes les radios et la plupart des émissions TV. Certains sont neutres, d’autres engagés, chacun son style mais je suis très impressionné par des Pierre Emmanuel Barré, Guillaume Meurice, Gaspard Proust, Charline Vanhoenacker, Alex Vizorek, Kevin Razy et j’en passe. L’humour sur l’actualité, ça m’est venu dès le début, je ne savais pas trop de quoi parler donc j’ouvrais le journal. Et j’ai fait de la radio tôt donc l’exercice était imposé. Il m’a fallu plusieurs années pour oser donner mon avis et risquer de perdre une partie du public. Ce qui est arrivé. Mais j’en ai gagné d’autres. Et je me suis senti mieux.
La seconde question rejoint un peu la première : quels sont les humoristes, s’il y en, a qui t’inspirent ou t’ont inspiré lors de tes débuts ? Réponse : En plus de ceux cités plus haut dans le style humour politique d’actu, je regardais beaucoup Desproges étant ado. J’ai découvert le stand-up avec Dave Chappelle, Chris Rock, puis Louis CK, Jerry Seinfeld, Jimmy Carr, Ricky Gervais, Bill Burr, Sarah Silverman, les Roast sur HBO, Jon Stewart, Conan O’Brien et les late shows aux USA. La rencontre avec Nathanaël Rochat, premier standuppeur de suisse, m’a montré que ce métier était possible chez moi, on est resté pote et collaborateur depuis, c’est mon mentor et je lui dois une grosse part de ma carrière.
Certaines de tes chroniques portent sur le monde des médias et le journalisme. Quel regard portes-tu sur la télévision française et notamment les déboires du groupe Canal + ?
Il y a une énorme méfiance vis à vis des médias. La course aux audiences, en dépit de la déontologie, y est pour quelque chose. Les chaînes d’info en continu ont fait du mal à l’image du métier. Le fait qu’une poignée de milliardaires se partage les trois quarts des médias en France aussi. Je suis très très sceptique des méthodes de Bolloré et de son but recherché. J’ai peur qu’il détruise la chaîne. S’il était dirigeant de club de foot, avec la qualité des gens qui sont partis, les fans auraient arrêté d’aller au stade depuis longtemps. Et vu les audiences de Canal et la perte des abonnés, c’est un peu ce qu’il se passe. C’est très triste, c’était un idéal et un rêve pour beaucoup d’humoristes. Ça ne l’est plus.
On connaît peu en France, la télévision et les médias suisse, y trouve-t-on les mêmes problèmes de censure ou d’autocensure qui existent parfois dans l’hexagone?
Ce n’est pas tellement comparable, déjà à cause des barrières de la langue, on est assez peu multilingues donc on ne consomme les médias que d’une seule langue. La région francophone a deux millions d’habitants. La radio et télé publique y est puissante mais délaissée par les jeunes au profit des médias français (surtout C8, NRJ12, etc, donc pas vraiment l’info). Les journaux souffrent et il y a beaucoup de licenciements et d’inquiétude. Cependant, il n’y a pas l’équivalent de BFM TV, ou de certaines polémiques que vous avez. La droite dure se plaint que les médias publics s’acharnent sur elle, comme chez vous. Et la redevance radio-TV fait beaucoup débat. Une votation s’organise bientôt, qui pourrait y mettre fin et forcer une grosse réorganisation et diminution d’effectifs des médias publics. Ça fait très peur à ceux qui bossent dans le milieu.
En tant qu’humoriste, y a-t-il des sujets que tu t’interdis d’aborder ou des fois où tu te dis : « là j’ai peut être été mal compris, il faut que je m’explique » ?
Il y a pleins de sujets où j’estime que je n’ai rien à dire. C’est le cas de la religion, dont je parle assez peu car je n’y connais rien, je n’en ai pas. Je m’exprime parfois sur les intolérances au sein des religions ou envers les religions, car l’intolérance est un sujet qui m’inspire. Oui, ça arrive d’être mal compris, mais c’est dur de se mettre à la place des gens et de s’excuser pour ce qu’ils ont compris. S’ils sont nombreux, alors c’est ta faute et il faut se clarifier. Je me souviens d’un spectacle où un type était persuadé que j’avais fait une blague sur sa mère et voulait me péter la gueule. Il l’avait totalement inventé. Dès qu’on fait de l’humour sur des sujets délicats, ou engagé, on sait que ça ne va pas plaire à certaines personnes, c’est dur à accepter mais c’est le jeu.
A part l’absence de public ou d’employeurs, qu’est-ce qui pourrait te pousser à arrêter, si ça arrive un jour ?
Les deux cas que tu cites sont déjà importants. La lassitude des gens, et l’absence d’opportunités professionnelles. Ensuite je vois bien la lassitude personnelle, je suis d’ordinaire quelqu’un qui se blase vite, ça me pose beaucoup problème dans ma vie personnelle. Ça n’est de loin pas le cas pour l’instant avec l’humour et je touche du bois. J’ai une amie à la carrière très prometteuse qui a arrêté récemment, ça m’a fait réfléchir. Qu’est-ce que tu fais quand ta passion ne l’est plus ? C’est des trucs auxquels je préfère ne pas penser, ça fait peur.