13 Reasons Why : au-delà des raisons
Alors que les appels à la vigilance se multiplient, 13 Reasons Why est en passe de devenir un véritable phénomène populaire pour les générations Y et Z, pourtant les plus propices à « zapper » les relations humaines en fonction de l’état d’esprit du jour et des aléas du quotidien.
Prompts aux excès en tous genres (alcool, drogue, conduite à risque), les vingtenaires et trentenaires d’aujourd’hui sont paradoxalement les premiers fans de la série événement construite comme une tragédie antique. On y connaît la finalité dès le début, mais le déroulé demeure mystérieux, animé par une narration singulière : celle de la défunte. Le suicide d’Hannah Baker, une adolescente lambda en apparence, distille ainsi un vent de panique lorsque les cassettes audio que l’intéressé a enregistré avant sa mort sont envoyées à tous ceux qu’elle considère comme partie prenante de sa décision irréversible.
Retour sur les moments phare de l’intrigue qui imbrique passé et présent, révélations de la défunte en flashbacks et tensions endeuillées de ceux qui restent. Pour ainsi dire, les 13 épisodes que contient la première saison de la série, reposent sur des archétypes à la fois bien réels et véritables topos cinématographiques.
Accusée de glorifier le suicide, la série n’a t-elle pas également permis de mettre en lumière la mécanique infernale dans laquelle l’entourage et le disparu sont étroitement liés?
L’erreur de casting perpétuelle avec la gent masculine
Dans le premier épisode, Hannah Baker tombe amoureuse de Justin Foley, échange un chaste baiser et s’amuse sur une aire de jeux avec ce dernier. Mais la candeur de la jeune femme prend du plomb dans l’aile lorsque le joueur de football américain fait circuler une rumeur sexuelle à son sujet. L’erreur de casting ne va cesser de se répéter et, en réalité, de découler de cette situation qui a mis une cible dans le dos d’Hannah dès le début de l’année scolaire. Plusieurs scènes ultérieures la montrent en difficulté avec la gent masculine, de gestes déplacés en humiliations publiques. Et pourtant, Hannah ne cesse d’accorder une chance, à ceux qui l’offensent.
La phrase clé :
« C’est une putain de drama queen qui s’est foutu en l’air pour attirer l’attention. »
La bienveillance aveugle contre la solitude
Hannah déploie des trésors de diplomatie ou d’abnégation afin de conserver les amis qui lui font du tort. Lorsque Jessica, jeune fille à la gouaille assumée, sort avec Justin, Hannah demeure silencieuse. Le stratagème de récupération du petit-ami a comme un goût de déjà-vu. Probablement parce qu’il s’agit d’un grand classique sur grand et petit écran.
La phrase clé: « Je ne parle pas d’une solitude banale mais d’une solitude dans une foule pleine de gens. »
Le slut-shaming ambiant
Listée comme le « meilleur cul » du lycée, Hannah fait figure d’objet sexuel et sexualisant tout au long de la série. Qualifiée de « pute », « salope » et autres appellations réjouissantes, la jeune femme adopte au fil de la série une attitude combative malgré son statut de bouc-émissaire, réceptacle de toutes les frustrations alentours. Au point que les mains baladeuses et les injonctions de relations sexuelles se mettent à fuser.
La phrase clé:
« Le sentiment d’avoir été trahi. L’un des pires qui existent. Je sais que tu n’avais pas l’intention de me blesser. En fait,la plupart d’entre vous qui m’écoutez n’avez sans doute pas la moindre idée de ce que vous faisiez…. de ce que vous me faisiez à moi… »
L’indifférence des adjuvants
La série projette un schéma familial banal mais branlant et l’absence de barrière au projet de suicide. Les parents d’Hannah, criblés de dettes, luttent pour maintenir leur entreprise à flots et n’observent pas le graduel processus de renoncement de leur fille. Quant à Clay, amoureux transi de la jeune fille, il n’est pas question de prendre le moindre risque. Adepte du droit chemin et de l’application stricte de la norme en toute circonstance, le garçon se heurte à son propre hermétisme et, dès lors, à son indifférence lorsque la voix de sa bien aimée est la seule chose qui demeure d’Hannah dans le présent. C’est face à ses remords que Clay prend la décision de réhabiliter la mémoire d’Hannah et de prendre des coups, au sens propre comme figuré.
Les phrases clé:
« J’écoute quelqu’un en train de renoncer. Quelqu’un que je connaissais. Qui comptait pour moi. Je l’écoute. Mais malgré tout, j’arrive trop tard. »
« Je veux presser le bouton STOP du walkam et rembobiner toute leurs conversations. Rembobiner le passé pour les prévenir. Ou les empêcher de se rencontrer. Mais c’est impossible. Nul ne peut rembobiner le passé »
« Tony n’a aucune réaction. Le regard tourné vers le dehors, vers la rue déserte, il m’accorde simplement la permission de rester assis dans sa voiture à sentir le manque d’Hannah. Sentir son absence avec un coeur si froid, si seul, mais baigné d’une douce chaleur chaque fois que la pensée d’elle me traverse. »
Le double viol
Lorsque la série bascule dans l’horreur, Hannah assiste au viol de Jessica, inconsciente, et n’intervient pas. C’est le même garçon qui la violentera et lui imposera une relation sexuelle forcée, par la suite. Alors que la plupart des séries préfèrent l’ellipse, 13 Reasons Why montre l’intégralité de la scène et le corps d’Hannah, en lutte, puis désarticulé sous l’emprise de son agresseur. C’est là le point d’inflexion du destin de la jeune femme, déjà abîmée, qui ne refait plus surface après le choc de l’agression.
Les phrases clé:
« Petit conseil. Quand vous touchez une fille, même pour rire,et qu’elle vous repousse….fichez lui la paix.Stop.Ne la touchez plus. Nulle part! Votre contact la dégoûte un point c’est tout. »
« J’ai marché pendant des heures, m’imaginant ce voile de brume en train de s’épaissir pour m’avaler toute entière. Et la simple pensée de pouvoir disparaître ainsi – en un clin d’oeil – me rendait heureuse. »
« Ce jour-là, pour la première fois, j’ai envisagé la possibilité du lâcher-prise. J’y ai même entrevu une sorte d’espoir. »
L’impossible solitude
Après le viol subi, Hannah erre le temps d’un épisode, dans les couloirs du lycée, chez ses parents, dehors. L’impossible réception de sa parole illustre l’extrême solitude d’une adolescente bien sous tout rapport. Le traumatisme enfoui va trouver sa place dans l’entreprise d’un projet morbide, qui consiste à arrêter de vivre tout en laissant des enregistrements réhabiliter sa personne. Le magnétophone, exutoire, devient l’unique confident d’Hannah.
La phrase clé:
« Beaucoup d’entre vous étaient là, mais pas suffisamment. Et ça…c’est ce que j’avais besoin de découvrir. »
« Nul ne peut savoir avec certitude l’impact qu’il a sur la vie d’autrui. La plupart du temps nous n’en avons même pas la moindre idée. Ce qui ne nous empêche pas de continuer comme si de rien n’était. »
La mise en oeuvre du projet
Les minutes les plus déterminantes et glaçantes de la série se déroulent sous une apparente normalité. Hannah vient clore la succession de lâchetés, agressions et grandes souffrances qui ont fait son année scolaire. C’est Clay, à qui est destiné une cassette, qui raconte l’intégralité du suicide d’Hannah, par un procédé stylistique privilégiant l’anaphore et une succession d’action. De la préparation minutieuse, silencieuse, au moment fatidique où elle se taillade les veines dans une baignoire face caméra, rien ne manque. La scène se poursuit lorsque le corps inerte est retrouvé par les parents. Une première sur petit-écran.
La phrase clé:
« Faites-vous dépouiller par un intrus du peu de sentiment d’intimité et de sécurité qui vous reste. Confiez-vous alors à quelqu’un qui utilisera votre malaise pour satisfaire sa curiosité malsaine. […] Puis réalisez que vous vous faites des montagnes de rien du tout. Réalisez à quel point vous êtes devenue mesquine. Bien sûr, vous avez peut-être le sentiment de perdre pied dans cette ville. Que chaque fois qu’on vous tend la main, c’est pour mieux vous lâcher et vous laisser vous enfoncer davantage. Mais ne sois donc pas si pessimiste, Hannah. Apprends à faire confiance aux autres. Alors c’est ce que j’ai fait. Une ultime fois. »