« Je voulais parler des origines des déviances sexuelles chez les jeunes hommes »
Présenté en compétition officielle long métrage à la 46ème édition du Cinemed, Panopticon révèle un trouble animant la société géorgienne à travers l’histoire de Sandro, un jeune homme tiraillé entre les interdits du dogme orthodoxe et ses pulsions. Entretien avec le réalisateur de ce film qui revient sur les origines de la violence et des agressions sexuelles dans la société contemporaine géorgienne.
Magmaa : Vous êtes de retour au Cinemed avec un film en compétition long métrage. Qu’est-ce que ça signifie pour vous ?
George Sikharulidze : C’est là d’où vient le film car en 2018 j’avais présenté ici mon court métrage qui constituait la matrice de Panopticon, avec les mêmes personnages. C’est grâce à ce court que j’ai obtenu une résidence d’écriture à Moulin d’Andé. J’ai le sentiment que la genèse de Panopticon est intimement liée à Cinemed. Le présenter ici est naturel.
Dans ce film, vous reliez la dimension de Panoptique telle qu’explicitée par Michel Foucault, à celle de la surveillance induite par la religion…
En Géorgie, à la place de la tour d’observation au sein de la structure de panoptique, on peut dire que Dieu regarde partout, chacun et ça façonne le comportement des gens. De la même façon que parce que le prisonnier ne sait jamais s’il est regardé dans la forme panoptique, on peut aisément dire que le poids de la surveillance de Dieu s’exerce sans démonstration de pouvoir, sans démonstration de force. Selon moi, c’est ainsi que la religion fonctionne. Dans mon film, quand son père dit à Sandro qu’il quitte le foyer familial pour devenir moine, il lui précise que Dieu voit et regarde tout, ce qui s’apparente à la mise en place d’une tour de surveillance alors qu’il s’en va : il laisse derrière lui une autre forme de père. Un père qui observe, tout le temps. C’est pourquoi Sandro s’engage dans une voie au sein laquelle il exprime partout ses frustrations sexuelles, mais toujours par accident. Il se met à créer des situations accidentelles, comme lorsqu’il laisse volontairement la porte de la salle de bain ouverte alors qu’il est nu lorsqu’un personnage féminin pénètre dans la pièce. Dans le métro ou dans le bus, il se frotte contre des filles, mais il le fait par accident. C’est une façon de se dédouaner, d’échapper au contrôle de Dieu, mais aussi au péché.
Vous avez écrit un personnage masculin persuadé d’échapper au péché inculqué par son père, mais y croit-il lui-même ?
Au moment où la transgression sexuelle a lieu, Sandro agit de manière impulsive, mais inconsciemment il crée ces moments d’accident pour éviter toute culpabilité. Cependant, à la fin du film, il a pleinement pris conscience que ce qu’il a fait était mal. Il dit d’ailleurs à Natalia qu’il pense que Dieu le punit pour tout ce qu’il a fait de mal.
Comme lorsqu’il devient néofasciste et bat des manifestants dans la rue…
Non, car il a le sentiment de défendre la chrétienté. Ce qu’il pense avoir fait de mal est essentiellement relié à la sexualité.
Il finit par être roué de coups et ne semble pas s’en émouvoir. Cherche-t-il la punition ?
Totalement. Foucault parlait de discipline et punition. Sandro, qui n’a rien a perdre, recherche ça, cette forme de violence. Il n’est pas à l’aise avec ses camarades, plus progressistes, plus ouverts. Il se sent marginalisé parce ce qui lui a été inculqué.
Le personnage de Sandro vous a été inspiré par des personnages existants en Géorgie ?
Beaucoup de traits proviennent de ma tentative de comprendre ce qu’il m’arrivait, lorsque j’avais 17-18 ans, avant de partir aux Etats Unis. Mon père était absent, ma mère était déjà partie aux Etats Unis. Ces éléments, ces relations compliquées, apparaissent dans la trame narrative de Panopticon. J’ai été élevée, comme Sandro, par ma grand-mère. Je voulais faire apparaître ces éléments qui sont très chers à mon cœur. Mais lorsque vous vous mettez à écrire sur un adolescent, vous écrivez inévitablement sur l’éveil sexuel. Et j’ai compris rapidement qu’il fallait que je travaille sur ce fléau qui ravage les jeunes hommes géorgiens, régis par leurs insécurités, luttant contre leur désir et l’interdit des relations sexuelles avant le mariage. Je voulais également parler des origines des déviances sexuelles qui apparaissent chez les jeunes hommes. Sandro n’est pas né en prédateur, il l’est devenu, car quelque chose est arrivé. Mais quoi ? Il n’était pas question pour moi de le justifier, mais de le montrer, d’essayer de comprendre quelle structure sociétale amenait ces jeunes hommes à se comporter ainsi. J’en avais pleinement conscience car toutes les femmes autour de moi avaient fait face à un épisode d’agression sexuelle dans l’espace public. Je voulais explorer, à travers le film, ce mécanisme : mon personnage principal devait être ce genre d’homme déviant, tentant aussi de rompre ce schéma.
Vous portez un regard critique sur la société géorgienne, depuis que vous vivez aux Etats Unis ou est-ce la raison initiale de votre départ ?
J’ai quitté la Géorgie à 18 ans et lorsque je suis revenu deux ans plus tard, j’ai été complètement choqué : pour la première fois, je me suis demandé comment j’avais pu vivre là, tout ce temps. Mon départ m’a donné un regard objectif, une perspective. Ce n’est pas forcément nécessaire pour faire un film critique sur la société géorgienne car un tas sont réalisés par des gens qui sont restés y vivre.
Comment viviez-vous en Géorgie, avant votre départ ?
J’étais très religieux, pendant un moment, alors que personne dans notre famille ne l’était. Seulement ma sœur et moi-même l’étions devenus afin de répondre à une pression sociale dans le voisinage, à l’école. C’était un moyen d’en être. J’étais très conservateur. J’avais embrassé le christianisme orthodoxe, j’allais beaucoup à l’église. Ma foi s’est évanouie lorsque je suis parti et n’avais plus besoin de prouver quoi que ce soit. Ma foi n’était bâtie sur aucune fondation solide, c’était juste performatif. J’ai pratiqué le bouddhisme deux ans, en arrivant aux Etats-Unis. Puis, j’ai arrêté et atteins l’âge de raison.