Neneh Superstar fouette le ballet
La première scène ouvre le bal : dans la file d’attente de jeunes filles se présentant aux auditions de l’école de danse de l’Opéra de Paris, une seule n’est pas diaphane mais noire. Cette élève de 6ème, qui rêve d’intégrer la prestigieuse institution, s’appelle Neneh et fait preuve d’une grâce rare. Pourtant, dès le passage devant le jury, sa présence divise : « Une danseuse noire parmi quarante cygnes, c’est une distraction. ».
Entre une directrice française, ancienne étoile, farouchement attachée à maintenir l’uniformité du recrutement et des professeurs internationaux plus enclins au mouvement qu’au conservatisme, la majorité l’emporte au bras de fer et la collégienne rejoint la formation dispensée sous forme de pensionnat. Commence pour Neneh, une incroyable traversée dans un monde à l’esthétique aussi fascinante que cruelle.
La trajectoire que le réalisateur, Ramzi Ben Sliman choisit pour son héroïne repose sur un scénario brillamment écrit, ponctué par des cours on l’on passe de la barre au milieu avec précaution, où les variations se font sous le regard inquisiteur de la statuesque Marianne Belage (incarnée par Maïwenn), directrice de l’école attachée et personnage énigmatique, qui s’est hissée à la tête de l’institution en masquant ses origines à renfort de subterfuges. Sur les épaules de la jeune Neneh, le poids du conflit social qui se joue au sein de l’école de danse de l’Opéra de Paris, connu pour avoir découragé la volonté de Benjamin Millepied lorsqu’il était directeur de la danse et stupéfait de ne trouver que des danseurs à la carnation claire, pèse lourd. D’autant que le film montre, avec une certaine parcimonie, le harcèlement que les filles font prospérer dans les vestiaires. Bien documentée, cette fiction évolue sur un rythme mené tambours battants, qui sait se servir de la parabole de la danse classique afin d’évoquer avec justesse une époque de changement et d’inclusion.
Balletomane, Ramzi Ben Sliman, se balade littéralement dans l’univers feutré des demi-pointes qu’il sait décidément porter à l’écran. Au point que l’on retrouve dans Neneh Superstar, une magnifique scène de battle en solo, qui rappelle son court métrage Grand Hôtel Barbès, où le protagoniste virtuose, noir mais plus âgé, captivait lui aussi les passants par son don pour le 6ème art.
Neneh Superstar va plus loin, puisqu’il s’agit d’une film grand public qui ouvre une perspective et amène une énergie vitale au sein d’une école de danse suffocant de préciosité, au cinéma comme dans la réalité . Plus de soixante ans après l’avènement de la Judson Church pour la danse contemporaine, Neneh Superstar vient bousculer une danse classique française, qui ne peut plus refuser la diversité.