Flashdrive conte la Syrie mutique
Flashdrive propose une réalisation singulière sur la situation en Syrie. Le réalisateur Dervis Zaim n’adopte pas le point de vue d’un révolutionnaire syrien et opposant au régime. Il montre Ahmet, un homme ordinaire, terne fonctionnaire qui collabore avec l’armée. Conduit à prendre en photo les cadavres de manifestants torturés, il refuse peu à peu de continuer à travailler avec une dictature sanguinaire.
Quand Ahmet décide de quitter la Syrie pour la Turquie, c’est pour fuir la violence, mais aussi la montrer, la dénoncer. Il s’enfuit avec sa femme. S’engage alors un long périple entre les snipers du régime de Bachar, les bombardements russes, les milices de l’armée syrienne libre et les terroristes de Daech. L’exil s’apparente alors à une aventure particulièrement mouvementée, secouée par la géopolitique.
Dervis Zaim innove dans sa réalisation. Car si de multiples documentaires évoquent la situation en Syrie, peu de long-métrages de fiction s’inscrivent dans ce contexte à la fois violent et complexe. En conférence presse à la 42ème édition du festival Cinemed, le cinéaste répond : « Je lis beaucoup, j’écoute beaucoup, je voyage beaucoup. J’ai réfléchi pour savoir comment montrer cette situation. Les films sur la Syrie évoquent surtout la question des réfugiés. Je voulais faire un film différent. Qu’est-ce qui se passe en Syrie ? Quelles sont les dimensions et les facteurs qui expliquent cette situation ? », présente Dervis Zaim.
Son long métrage montre la brutalité du régime et des divers groupes armés. Mais sa narration s’éloigne du réalisme documentaire pour prendre la forme d’un conte arabe. « J’ai voulu montrer un personnage principal qui devient muet, comme le peuple syrien qui veut raconter son histoire mais ne le peut pas », indique le réalisateur. Avec habileté, le conte des Mille et unes nuits devient le modèle du récit métaphorique qui permet d’affronter la réalité. Mais l’importance de raconter ce qui se passe en Syrie est d’abord évoquée par de jeunes révolutionnaires qui témoignent à travers des vidéos. Le personnage féminin gagne progressivement en importance. Elle parle pour elle-même mais aussi pour son mari devenu muet. « J’ai voulu un personnage féminin fort, pas comme une femme désespérée. Elle agit par elle-même et veut changer les choses », souligne Dervis Zaim.
Pourtant, le point de vue du réalisateur se tient à distance des analyses frontalement politiques. Les causes sociales de la révolution restent suggérées mais pas clairement explicitées. Ensuite, les différentes fractions de l’opposition au régime sont renvoyées dos à dos. Ce film turc se garde bien d’évoquer les révolutionnaires kurdes qui combattent Daesh et subissent les bombardements du régime turc . « Il n’est pas possible de tout montrer. En plus les kurdes sont davantage au Nord. Ce n’est pas la Turquie qui empêche de parler des kurdes », se justifie le réalisateur de manière diplomatique.
En revanche, son film montre justement la brutalité du régime de Bachar et la militarisation d’une opposition particulièrement divisée. Ce film de fiction permet d’évoquer la situation syrienne et sa révolution noyée dans le sang. « Ma position face à cette situation, c’est de raconter des histoires », admet Dervis Zaim. Et ce pari reste impeccablement réussi. Le réalisateur s’appuie sur le conte, ainsi que sur la trame classique mais efficace d’un individu ordinaire qui se révolte face à un système injuste et brutal. Flashdrive montre surtout que le peuple syrien peut devenir acteur de sa propre histoire.