Ouwitting the Devil : Akram Khan laisse désormais le diable en coulisses
Dans la cour d’honneur du Palais des Papes, Outwitting the Devil s’était présenté sous une forme audacieuse, tranchée, d’un pessimisme dévorant. Akram Khan disait alors que le genre humain incarnait le diable. Il y avait là un certain nihilisme. Les 6 danseurs au plateau enchaînaient une combinaison de mouvements sombres, formations inquiétantes ou solos vénéneux. La musique de Vincenzo Lamagna, saturée, tonitruante, flirtait parfois sauvagement avec la dubstep. Un son né dans la grisaille de la banlieue de la capitale anglaise, qui semble avoir profondément heurté les oreilles des chantres du bon goût.
Début décembre, au Grand Théâtre de Provence, Outwitting the Devil a déjà changé et ce n’est pas dû au remplacement d’un effectif de la distribution. Plutôt à un méticuleux polissage de tout ce qui, par effet de dissonance ou d’outrage, obligeait le spectateur à regarder ce spectacle dont l’absolue lucidité faisait l’économie de la séduction.
L’outrenoir chorégraphique a disparu, fait place à une danse plus ronde, à une musique plus mélodieuse. Il reste évidemment la virtuosité des interprètes, dans une mesure différente, plus cordiale. Incongrue, aussi, comme si l’on avait proposé à Lovecraft d’atténuer ses « noirs océans » au nom d’une esthétique plaisante, en vogue.
Dans ces conditions, la version remaniée au forceps d’Outwitting the Devil perd vraisemblablement sa raison d’exister. Elle n’en constitue pas moins un épisode éclatant de la pression du bon goût contemporain et, versant plus volatile mais bien plus passionnant, de l’éphémère de la danse.