Terminal Sud, vers la dystopie
Présenté en avant-première au festival Cinémed, Terminal Sud de Rabah Ameur-Zaïmeche, propose un regard très sombre sur la décomposition de la société et de l’Etat. Le long métrage s’affranchit de tout lieu et toute temporalité précise. La première scène donne le ton: des hommes en uniformes dépouillent les passagers d’un bus. Le long métrage suit ensuite le parcours d’un médecin incarné par Ramzy Bedia. Malgré les menaces de plus en plus violentes, ce dernier tente de survivre et de soigner tous ceux qui font appel à lui, malgré une ambiance oppressante et un sentiment de menace permanente entretenus par des milices armées. Ainsi, Rabah Ameur-Zaïmeche s’appuie sur son film afin de proposer une réflexion sur les dérives autoritaires qui étouffent de nombreuses régions du monde.
Violences policières
Rabah Ameur-Zaïmeche assume le choix de ne pas inscrire son récit dans un contexte délimité, sorte de dystopie dans l’air du temps : « Ce qui est montré dans le film concerne la politique des Etats et l’économie mondiale. Les classes populaires sont de plus en plus aux abois partout dans le monde. Il n’y a qu’une petite partie de la population qui n’entend pas le bruit des bottes. En France ou à Hong Kong, on voit la police masquée et avec des armes de guerres face à des manifestants. On peut être arrêté préventivement avant d’aller manifester« , lance le réalisateur en pleine rencontre presse. Il faut avouer que son film retranscrit bien ce brouillage des lignes intrinsèques à l’Etat de droit. Les frontières entre sécurité intérieure et extérieure, deviennent peu à peu plus poreuses. « Le champ de la liberté de s’exprimer se réduit« , déplore à cet égard Rabah Ameur-Zaïmeche, dans un contexte d’qui inégalités sociales imposent de maintenir l’ordre de manière plus brutale qu’en période de paix sociale.
Reconnaissons à Rabah Ameur-Zaïmeche l’influene de l’histoire de l’Algérie, de la guerre d’indépendance à la décennie noire des années 1990. Là où les milices armées ne sont pas livrées à elles-mêmes, agissent dans une logique étatique. « Il y a des cibles précises comme les intellectuels et les journalistes. Pendant la guerre civile algérienne, les médecins étaient menacés parce qu’ils étaient les seuls à rester dans la rationalité » poursuit avec détermination le réalisateur. « La population a peur d’elle-même. On se méfie même de sa famille. Les forces de l’ordre ont une teinte idéologique avec la colonisation, la torture et les Algériens balancés dans la Seine« , s’indigne Rabah Ameur-Zaïmeche, pour qui la police incarne le danger d’un basculement vers un régime autoritaire. « Il faut observer l’idéologie des forces de l’ordre gangrenée par le fascisme. Les trois quarts des condés sont des fachos« , tranche le cinéaste, très en forme.
Contre-insurrection
Dans Terminal Sud, la violence doit permettre de maintenir un ordre social injuste. « La police est au service d’une classe minoritaire mais qui domine tous les champs sociaux« , analyse Rabah Ameur-Zaïmeche. Le cinéaste rappelle l’importance des services de renseignements français dont les méthodes auraient inspiré les escadrons de la mort en Amérique latine, mais aussi les services algériens. « La police est un appareil idéologique d’Etat. Tant que l’Etat sera au service d’une minorité, il ne servira pas le bien commun« , souligne Rabah Ameur-Zaïmeche. La situation algérienne, mais aussi le régime marocain utilisent également ces méthodes de répression que raconte Ameur-Zaïmeche : « Actuellement, il y a plus de 200 prisonniers marocains qui subissent la torture« . Son film montre d’ailleurs un tortionnaire français. Une référence au film de Gillo Pontecorvo, La bataille d’Alger qui évoque la lutte pour l’indépendance, mais aussi sa répression brutale.
Réflexions sur le monde actuel
A travers son film, Rabah Ameur-Zaïmeche n’impose aucun dogme, mais vise à faire réfléchir le public. « On voit juste un individu plongé dans une spirale. Il est seul face à l’Etat. Soit il crève, soit il fuit« , décrit le réalisateur. Le choix de ne pas situer l’action est volontaire. Ce qui permet de sortir d’un cadre défini, où le pays serait forcément exotique : « Je voulais faire quelque chose d’abstrait pour embrouiller le spectateur et qu’il se questionne« , confie Rabah Ameur-Zaïmeche. Le film a été tourné dans les régions de Nîmes et de l’étang de Berre. Donc tout se situe dans un pays francophone, en bordure de la Méditerranée, mais le sentiment d’incertitude et l’absence de cadre géographie favorise la suggestion. Le pensée du spectateur peut suivre sa propre trajectoire. Si Terminal Sud peu sembler parfois trop pessimiste, il vise avant tout à interpeller les consciences. Pourtant, le réalisateur ne sombre pas dans la noirceur et la résignation. « Il y a une énergie qui fait qu’on peut s’élever pour lutter contre toutes les formes de détresse et de terreur. Nous sommes à la fois petits et ridicules, mais aussi grands et magiques« , souligne Rabah Ameur-Zaïmeche.