La Fondaton Carmignac, six pieds sous mer

La Fondaton Carmignac, six pieds sous mer

Ni vaisseau mastodonte, ni tour d’acier, la Fondation Carmignac possède la particularité de se fondre dans la pinède de Porquerolles avec une grâce certaine. A un battement d’aile de la plage de la Courtade, l’écrin qu’offre l’ancienne ferme, apparue dans Pierrot le fou (1965), se déploie sous terre. Après la traversée maritime depuis Giens, puis l’immense jardin conçu par le paysagiste Louis Benech, on se déchausse pour descendre sous le niveau de la mer, prompt à l’immersion.

Catabase méditerranéenne

D’emblée, la collection d’oeuvres accrochées impressionne, par sa diversité et son épure. Pas de pléthore, ni de foisonnement plastique, mais des choix inspirés, sinon rigoureux, animent les murs immaculés du bâtiment percé de baies vitrées où s’infiltre une lumière intense. Mais pour se rendre là dessous, il faut d’abord passer devant L’Alycastre, chimérique sculpture de Miquel Barceló, plantée à l’entrée des lieux, évoquant l’épouvantable créature du folklore local, dévorant autrefois animaux et habitants de l’île avant d’être terrassée par un preux naufragé. Ladite bête aurait imploré que l’on donne son nom au fort où elle se terrait. La fondation Carmignac conserve la tradition orale, élève une statue fascinante et mythique, dont la présence relève davantage de la filiation que de l’évocation. Les indicateurs de cette transmission sont, d’ailleurs, légion.

La suite de la visite se pare d’une imperceptible écume formée à la fois par le temps long braudélien et le questionnement intrinsèque aux oeuvres contemporaines. Au fil de la déambulation sur les dalles de grès, s’opère un phénomène d’immersion, où l’enclave spatio-temporelle devient troublante, comme si des traits de contacts pouvaient laisser surgir à tout instant une cohorte de divinités chthoniennes. En empruntant l’escalier investi par les nervures tissées de Jainina Mello Landini, affleure le sentiment de commencer une catabase moderne.

Sous cette Méditerranée où l’on ne sait ce qu’il adviendra, le ruissellement de One hundred fish fountain (2005) de Bruce Nauman, s’entend d’ailleurs depuis la salle précédente, avant même de voir apparaître l’installation aquatique. Une fois la porte éthérienne poussée, les poissons en suspension se laissent regarder sous toutes les écailles, rappellent l’oscillation du lieu entre force tellurique et fluidité marine. Monumentale et contemplative, on imagine tout aussi bien l’irruption humaine au beau milieu de la sculpture, comme quand l’actionnisme viennois rencontrait Franz West.

Correspondances et chefs d’oeuvre

Dans la salle suivante, l’accrochage est diligenté par Dieter Buchhart, dont le commissariat de l’exposition Sea of Desire, met le monumental Beach Scene with Starfish de Roy Lichenstein en vis à vis des portraits de Lénine et Mao-Tsé Toung peints par Warhol.

Fondation Carmignac

Plus loin, la façon dont les canons esthétiques de Botticelli dialoguent avec ceux de Lichenstein, jette un pont entre la respiration du Quattrocentto et le pop art du XXème siècle. Chacun représentant l’avènement d’une peinture inédite : libérée du joug religieux avec Botticelli, exécutant nus et portraits, ou abreuvée par l’imagerie populaire avec Lichenstein. Emouvante mise en relation de ce que peut l’art, par effets de vases communicants, dans le temps des hommes.

L’est tout aussi, la présence du portrait d’Edouard Carmignac, par Basquiat, dont la l’affection pour la prosopographie n’était pas apparue de façon aussi éclatante depuis l’excellente rétrospective du Barbican Center en 2017.

Fondation Carmignac

A bien des égards, la visite subjugue, par la puissance évocatrice d’une lumière partout présente, mais surtout par le rapport particulier au temps, dont témoignent les oeuvres présentées. Sorties de la collection, ou commandées pour le site porquerollais, comme les 16 mètres déroulés dans Not yet titled de Miquel Barcelo, toutes déclinent à l’envi une éthique que l’on retrouvera plus tard dans l’intégration des sculptures, épousant la végétation de l’immense jardin.

Entre temps, le fond documentaire utilisé pour le prix de photojournalisme montre une esthétique en vogue, dont la dimension spectaculaire, signe des temps, affectionne surtout la jouissance immédiate de la composition.  

Langage chorégraphique

Enfin, le jardin, où La Traversée de Jean Denant, miroir magique dans lequel se découpe la géographie de la Méditerranée, reflète la verdure environnante et le souvenir d’une oeuvre similaire, encastrée dans un mur du lido reliant la presqu’île de Sète au continent. « Ainsi les dunes, bien accrochées à des accidents cachés du sol », la plaque de métal, comme un grain de sable, s’envole et s’attache dans la villa Carmignac.

On y rencontre, entre les oliviers, quatre immenses ports de têtes d’Ugo Rondinone, allègrement baptisées Four seasons. Plantés dans le sol pierreux, les personnages grimaçants forment une ronde, tout droit échappés du May B de Maguy Marin ou du Sacre du Printemps version Pina Bausch, avec tourbe rougeoyante.

Hors les murs, le langage chorégraphique formulé dès le début de la visite, s’affirme, laisse le corps tourner autour des oeuvres, tracer leur propre cheminement. Une odyssée silencieuse, où le temps des hommes se dilue dans celui de la longue durée.

 

 

 



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